La mosaïque de Saint-Ours à Aoste: un Tétramorphe perturbé

(André Léger)

 

 

 

Un Tétramorphe est une représentation du Christ en majesté au centre d’un carré dont les angles sont occupés par quatre vivants. Cette représentation s’inspire de l’Apocalypse et d’Ezéchiel. Traditionnellement chacun de ces vivants est l’emblème d’un évangéliste.

Un Chrisme combine les deux premières lettres de Chistos en grec : X (khi) qui se prononce kh et P (Rhô) qui se prononce R. La présence d’un Chrisme dans la mosaïque est signalée par la queue du petit lion. Elle a la forme de la lettre Resh de l’alphabet hébreu. Resh est proche du mot hébreu qui signifie tête. Mais Resh sonne presque comme le mot latin REX, roi qui est à la tête de ses troupes. Le Christ est le roi qui a reçu l’onction. Pour obtenir le X (khi) il faut tracer les médianes du carré-losange. La hampe du P (Rhô) est la diagonale qui part de la pointe du coin où se trouve le petit lion couché. La partie arrondie du P (Rhô) est donnée par la syllabe RO de ROTAS. Le plus souvent XP est précédé de la lettre Alpha majuscule qui a la forme d’un A latin ou français et suivi un Oméga en lettre minuscule. La hampe du Rhô terrasse un serpent sur une monnaie romaine du quatrième siècle. Il en est de même sur les Chrismes du Sud de la France. C’est aussi le cas à Saint-Ours. L’oiseau double a la forme d’un A et les bras de l’homme du côté droit forme avec un serpent un oméga minuscule.

Le zodiaque est fréquent dans l’art du Moyen Age. Pour faire apparaître celui de la mosaïque de Saint-Ours, il faut remarquer le T de REVERENTER écrit avec des lettres vues dans un miroir, dans la grande inscription. Un rayon partant de ce T qui a la forme de la lettre hébraïque Beth fait avec la médiane la plus proche un angle de 30° le douzième de 360°. Il est facile de partager en douze le disque de la mosaïque. Un douzième contient le petit lion et les tresses de la chevelure, siège de la force de Samson. Le visage de Samson imberbe comme celui d’une femme indique le signe de la Vierge. Le sens des mots et des dessins est influencé par le signe du zodiaque où ils se trouvent.

La mosaïque de Saint-Ours à Aoste est un tétramorphe perturbé. Il ne convenait pas qu’un vrai tétramorphe fût représenté sur le sol et foulé aux pieds. Par ailleurs le tétramorphe était vu par certains comme une clé de lecture chrétienne du carré SATOR-ROTAS. Les roues (ROTAS) venaient d’Ezéchiel, l’Alpha et l’Oméga de l’Apocalypse. L’auteur de la mosaïque qui combat ce carré même christianisé a caricaturé les quatre vivants. Mais d’autres raisons expliquent ces déformations : le Chrisme et les mots commencement et fin employés au commencement et à la fin de chacun des quatre évangiles.

Les quatre vivants inspirés de l’Apocalypse et d’Ezéchiel ont été modifiés. Le lionceau représente le Lion de saint Marc, le demi-homme nu l’Homme de saint Mathieu, l’oiseau double l’Aigle de saint Jean. Mais le Taureau de saint Luc est remplacé par un dragon. Samson remplace le Christ en majesté mais cela n’est pas une moquerie. Selon la tradition des Pères de l’Eglise, les grands personnages de l’Ancien testament sont des images du Christ.

On peut faire un lien entre le dragon et saint Luc. Serpent est l’autre nom du dragon. Un serpent qui s’enroule sur un bâton forme le caducée qui est l’emblème des médecins. Luc était médecin. (Le Samson de la mosaïque est un dentiste). Le dragon est le serpent, le bâton est la hampe du P (Rhô) du Chrisme.

On peut dire aussi que saint Luc s’est réfugié chez saint Jean dont l’emblème est l’Aigle. L’oiseau double comprend un aigle et une colombe. L’aigle est Jean, la colombe est Luc, l’évangéliste où le Saint-Esprit joue un rôle essentiel. Les biblistes ont découvert une parenté entre l’évangile de Luc et celui de Jean.

L’utilisation des mots commencement et fin au début et à la fin de chaque évangile a influé sur le choix des dessins de chaque angle. L’évangile de Marc commence par le mot Commencement. Commencement de l’évangile de Jésus-Christ fils de Dieu. Mathieu finit par Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps. Jean commence par Au commencement était le Verbe, ce qui rejoint le début du livre de la Genèse. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. On peut voir aussi dans l’oiseau double l’aigle de Jean et la colombe de l’Esprit de Dieu qui planait sur les eaux lors de la création du monde.

Et pour Luc ? Le mot commencement ne se trouve pas au début de son évangile et le mot fin n’est pas écrit à la fin. C’est la raison de l’éviction de son taureau de la mosaïque. Le texte de Luc commence dans le Temple de Jérusalem. Zacharie y offre l’encens à Dieu. Il finit également dans le Temple. Les disciples s’y regroupent pour louer Dieu après le départ du Christ.

L’Oiseau double est sous le signe du Taureau dans le zodiaque décrit plus haut. Luc retrouve ainsi son animal. Le taureau est un animal de sacrifice dans le Temple de Jérusalem. C’est la raison pour laquelle Luc dont le texte commence et finit dans le temple s’est vu attribuer comme emblème le taureau.

Il faut apporter des précisions. Le Lion est jeune. Le coin où il est situé pointe vers l’Est. C’est une allusion au soleil levant qui est un jeune soleil. Le jeune lion renvoie aussi à Judas fils de Jacob. Judas est qualifié de jeune lion dans la bénédiction que lui adresse son père. De la tribu de Judas est issu Jésus-Christ.

Au sujet du coin Sud. La queue de poisson est un symbole de fin (finir en queue de poisson). Ceci correspond à l’Oméga symbole de la fin. Le serpent s’oppose à la queue de poisson. C’est une allusion aux évangiles. Quel père quand son fils lui demande un poisson lui donnerait un serpent ? Le mot Noun en araméen signifie poisson mais aussi serpent.

Par ailleurs sous le signe astrologique des Poissons on peut voir la lettre A (Alpha) et la jambe de Samson-Jésus-Christ qui fait tourner le monde qu’il a créé. A l’opposé sous le signe de la Vierge, symbole de la Justice, on peut voir un O (Oméga) et les lettres IV(S) droit. Le S est sous le signe de la Balance autre symbole de la Justice. C’est une allusion au jugement dernier à la fin des temps. L’O forme une auréole au-dessus de la tête de Samson.

Saint Luc est l’évangéliste qui parle le plus de la prière. La petite inscription recèle une invocation quand elle est décryptée. ROTAS OPER’A TE NETA, REP’O SATOR Tu fais tourner les ouvrages filés par toi, je rampe, ô Semeur. Les jambages bas du X d’un Chrisme découpent A TE NETA et la ligne qui va d’Alpha à Oméga coupe REP’O SATOR. Le Semeur est Jupiter personnification du Monde qui est Dieu chez les stoïciens (notamment Cléante dans son hymne). La Nature est un autre nom du Monde chez ces philosophes. Virgile donne à Jupiter le qualificatif de SATOR. Il est le Père des hommes et des dieux.

Le Monde est soumis au Temps. Le Semeur a pris plus tard le nom de Saturne. Cela ne change rien, le Monde reste le seul Dieu. REPO (habituellement je rampe) peut signifier aussi je m’infiltre, comme dans l’expression AQUA REPIT l’eau s’infiltre. Le stoïcien s’infiltre dans le monde pour participer à sa divinité.

Le texte Tu fais tourner les ouvrages filés par toi, je rampe ô Semeur aurait pu devenir chrétien. Il suffisait de préciser que SATOR était Jésus-Christ. Les chrétiens des premiers siècles ne l’ont pas fait. Ils ont changé l’ordre des mots pour rendre impossible l'interprétation du Semeur qui fait tourner. Le texte est devenu SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS ; ce que l’on peut traduire par Le Semeur (ah je rampe) domine les ouvrages, les cycles (du temps). A côté de plusieurs carrés SATOR on peut lire CHRISTUS REX VENIT IN PACE DEUS HOMO FACTUS EST Le Christ roi est venu en paix. Dieu s’est fait homme. Cette précision invite à ne pas confondre Chronos le Temps et Christos le Christ. Les deux mots commencent en grec par X P.

La grande inscription traite aussi de prière. INTERIVS DOMINI DOMVS HEC ORNATA DECENTER Plus à l’intérieur est cette maison du Seigneur ornée comme il convient. INTERIVS fait allusion à la vie intérieure (mystique) dont parle l’Imitation de Jésus-Christ. L’évangile de Jean proclame Nous (Dieu le Père et son File Jésus-Christ) viendront chez lui et nous y feront notre demeure. La suite qui est écrite avec des lettres vues dans un miroir est QVERIT EOS QUI SEMPER EI PSALLANT REVENRENTER cherche ceux qui toujours pour lui psalmodient avec respect. La phrase n’a pas de sujet. Le sujet est soit la petite croix près du petit lion soit le dragon, image de Satan. Quand la croix est le sujet la traduction est La croix cherche ceux qui pour lui psalmodient toujours avec respect. Le mot SEMPER toujours mérite un commentaire. Comment prier sans cesse comme le demande saint Paul ? En faisant tout pour Dieu.

Quand le sujet est le démon, le mot REVERENTER avec respect est disloqué. RE VE, R’EN TER. Par la chose V, soit cinq en chiffre romain comme les cinq mots de cinq lettres du carré ROTAS SATOR soit VAE malheur écrit avec l’orthographe du Moyen Age. R’EN TER par la chose EN trois fois. Voici les trois EN : EN (mot grec) l’Un des philosophes grecs, le N centre du carré qui est peut-être un mandala, N dont l’équivalent hébreu est Noun. Ce dernier N pouvait rendre le carré chrétien ; mais l’auteur ne le souhaite pas. La notion de centre n’est pas dans la Bible. Dans le texte sacré le pécheur est un dévoyé (ce celui qui ne suit pas la voie de Dieu), pas un désaxé.

Mais pourquoi ces lettres vues dans un miroir ? La psalmodie dans le Temple ou la collégiale Saint-Ours est le miroir de la prière intérieure du solitaire. A moins que ce soit l’inverse. En fait les deux vont ensemble.

Il est une prière personnelle que l’auteur rejette : l’omphalo-scopie. Ce type d’oraison est encore pratiqué par certains moines du mont Athos. C’est une sorte de yoga. Il faut regarder son nombril en prononçant sur le rythme du cœur une courte prière que l’on répète sans fin (le mot SEMPER toujours fait allusion à cela). Le rejet de cette pratique est indiqué par un angle. L’un des traits de l’angle part de la première barre verticale de HEC et rejoint le nombril de Samson. L’autre trait part de ce nombril et rejoint le nombril de l’homme nu du coin droit. L’angle est de dix-sept degrés Dix-sept est le nombre de la mort chez les Italiens. Avec XVII dix-sept en chiffres romains on peut écrire VIXI j’ai vécu c’est à dire je suis mort.

La petite inscription comporte aussi un jeu de miroir. ROT’AS OPERA, TE Fais tourner ô As les ouvrages, toi. L’as est la pièce d’un centime chez des Romains. Cette valeur était indivisible à une certaine époque. A cause de cela, AS désigne une chose qu’on ne peut diviser. Les ouvrages, toi (les ouvrages qui sont toi) met en scène le panthéisme des stoïciens. La créature ne se distingue pas de son créateur. En miroir on peut lire NETA REP’OSA, TOR Enlacée je rampe, haïe, ô taureau. TOR est un mot d’ancien français. Par le jeu de miroir il faut comprendre que le stoïcisme est aussi stupide que le mythe de Pasiphaé, fille du Soleil, fécondée par Zeus qui avait pris la forme d’un taureau.

Cette présentation de la mosaïque de la collégiale Saint-Pierre-Saint-Ours n’explique pas tous les messages qu’elle recèle. Ce qui nous choque c’est qu’un dessin puisse avoir plusieurs significations.

(Autore: André Léger; si pubblica in questo sito il 25/03/2024 dietro invio da parte dell'autore, che si ringrazia)